Barachat
Sur le papier, l'idée était à creuser : un bar à chat
Un machin venu direct from Tokyo. Un exotisme de bon aloi, entre Kawaï et samouraï, cérémonie du thé et poupougnage de félidés.
Miss Poupette, dont les rêves félins aboutissent irrémédiablement... A rien - "Ben ouais, papa est allergique, alors...", rêvait de cet espèce d'ovni châtié. Un truc où on tâte du minou en buvant un thé.
Histoire de contenter la bestiole (la mienne), je décidais d'emmener ma marmaille à carambar tritouiller des chats en bar.
Oui, parce que normalement, les activités du mercredi, chez les nains, c'est glandouille, et adaptation au dernier moment. Hors de question de se taper tous les mercredis moult cours de scénographie kafkaienne, tennis en salle, escrime javanais, cirque hawaïen, cours de calligraphie égyptienne ou autres joyeusetés collectives sensées créer chez vos lapins une folle passion qui décidera de leurs destins.
On pioche, on butine, en fonction du temps, du vent, des envies, et des trucs qui se présentent. Le machin imposé qui justifie que je poireaute pendant 2 heures dans un café avec mon ordi, niet. Finito.
On a testé hein ! Mais après 1 an de partage de cours de dessin avec la super minette débridée dont les parents, à 8 ans, trouvaient normal de lui montrer des séries sur les vampires et autres niaiseries cauchemardesques, on a laissé tomber.
Parce que les cauchemars, en définitive, c'était pour moi, le soir, après que la charmante apprentie vampire ait bassiné mes loulous avec ses pieux sanguinolents, gousses d'ail et autres cimetières divers. "Mamaaannn, j'arrive pas à dormir !"
Yes ! Moi non plus !
On a fait cirque aussi. Mais bon, mon naingénieur ayant quelques difficultés à faire passer ses concepts d'énergie cinétique du ballon ou autre théorie sur la gravité de la corde à sauter à ses petits camarades, on a pas renouvelé l'affaire.
Mais revenons à nos chats.
J'ai réservé le suspens, traîné les marmots en crémaillère à grande côte, et nous voilà devant le bar à chats.
Ma minette est en extase.
Sas obligatoire. Légère odeur de litière. Ouhh... Bon après, non, ça va. Ambiance limite sauna, vu que les chats, faut pas les laisser sortir du galetas. Les vapeurs non plus du coup.
Après, c'est désinfection des mains. Ben oui, sur le principe, le truc, c'est que vous allez partager des chats. Alors, tant qu'à faire, autant pas leur filer d'office une crouille microbienne tirée d'on ne sait où. Et puis autant pas non plus se les refiler entre humains, tant qu'à faire.
Après, comment dire... Je sais pas.
Dans un coin, trois kawaï en cuir au cheveux bleus, wouiii. Deux copines qui papotent de situation trèèès compliquée. "Mais tu lui a dit quoi alors ? Ben en fait, je sais pas, tu crois que je rappelle... Et si y me kiffe paaas ?". Un monsieur au regard un chouille inquiétant, avec un bouquin en anglais, que je suis obligée de me fader en tête à tête, vu que le bar est bondé. Des parents et grand-parents aussi, mit marmaille.
Et des chats qui dorment.
Après, on hésite entre Duchamp et Freud.
La marmaille essaye désespérément de toucher le seul chat à peu près vaillant. Qui s'esquive, forcément.
Dès qu'un chat ouvre un oeil, ceux, avides des chadolâtres s'éveillent, inquiets. "Et si il venait vers moi ?" S'en suivent des petits claquement de langue discrets sensés attirer la bestiole.
Compétition.
Qui va être l'Elu ?
Celui vers qui le chat va se diriger ?
Mes pensées s'égarent vers Paul le poulpe, celui qui désignait les gagnants du match lors de la coupe du monde de foot. Ceci dit, un petit coussinet vaut mieux que deux ventouses. Bref.
Le barman me propose un thé à la lavande, en suggérant que j'offre au monsieur à lecture d'outre-Manche sa consommation. Ouais ? Ben non. C'est pas parce qu'on l'un face à l'autre qu'on va se faire des chateries non plus hein ? Mon regard se fait lointain, vers l'étagère chargée de bestioles assoupies.
Bon. Ma minette à moi s'esclafoire sur le gazon synthétique, une cravache à la main, avec des plumes au bout. Elle s'est fait deux copines en rose qui courent dans les escaliers. Petits rappels à l'ordre discret : on ne fait pas la folasse, et on ne tape pas sur le chat. On essaye aussi de ne pas le rendre dingue. Parce que les cravaches à félidés en peau de léopard, y'en a plein le bar à thé.
Des nids à chats aussi, des arbres, des hamacs, des matelas, des souris en peluche et des pouet-pouets. Et des gens qui se pressent au portillon, l'oeil aux aguets : -"je peux entrer ?" -"Désolé, nous sommes complets...". Petites piques de fierté des gens attablés. "Nous, on y est".
Ouais, sauf que les chats, eux, non.
Côté naingénieur, la patience à ses limites. Trop de bruits déjà. Et puis mon intello de service, le cerveau jamais loin, a bien retenu la leçon. On doit se présenter à un animal avant de le tripoter. Bien vu, mon lapin. Sauf que ses petits comparses n'ayant pas les même prérogatives, chargé d'effluves, le pauvre minou éveillé, par 6 petites mains embaumé, se casse. "Ben voilà, tu vois, les chats, ils m'aiment pas !". L'ambiance se plombe... Posture du hérisson, les mains sur les oreilles. La tempête n'est pas loin.
Y parait que c'est censé déstresser cette histoire...
Alller, zou, on y va ! Parce bon, là, ça va...
*
Alors bon, t'en dis quoi du bar à chat ?
Ben franchement, je sais pas. La version anglaise à mamies théières au chat en bouillotte, ça peut avoir un côté sympa. Le bar de village avec home cat, tranquilou, qui vient vous voir, ou pas. Sympa aussi. On opte aussi pour la version chien. Ou perroquet, j'ai déjà vu.
Mais le bar à chats...
Le monsieur m'a tendu gentiment une carte de félinité/fidélité.
Reviendrai-je ?
Pas gagné.
Je crois que je vais trouver une autre activité...
Photos : Andy Prokh
Ah, ben non, je peux pas, j'ai piscine...