Suite...
Alors... Parlons peu, parlons bien.
Parce qu'une des questions qui revient en boucle, c'est "à qui la faute" ?
Ben oui, tient, qui sont les harceleurs ? Une bande de petits salopards ? Des sales mômes ? Des futurs serial-killers ?
Pas si évident que ça...
Premier constat : nous ne sommes pas tous égaux. Pas le même caractère, pas les mêmes cheveux, pas la même couleur de peau, la même religion, ni la même famille.
Tous différents, et c'est tant mieux. La diversité crée la richesse, l'échange et le partage. Pour autant, vivre ces différences n'est pas une sinécure. Apprendre à accepter l'autre n'est pas dans la nature humaine. C'est comme ça. Par essence, l'autre, l'étranger, le voisin, celui qui n'est pas comme nous fait peur. Qui a déjà vu une cour de récréation rigole doucement en repensant à Rousseau. Pas persuadée que l'homme soit bon par nature...
Bon, d'un autre côté, deuxième constat, je suis assez d'accord avec Rousseau, sur un point philosophique en tous cas. C'est la société qui corrompt l'homme. Au sens littéral. On va pas revenir au Paléolithique non plus.
Et en quoi la société explique les harceleurs me direz-vous ? Parce que ces petits là, qu'est ce qui les amène à devenir bourreaux ?
Là encore parlons peu, parlons bien. Parce qu'en définitive, la question n'est pas qui. Mais quand ? Où ? Et Comment ?
Dans la première école de mon fils, en maternelle, les harceleurs étaient les grands de Moyenne section. Moyenne d'âge : 4 ans. Enfants issus de communautés. Renfermées sur elles-même, banlieue ghetoïsée, mal-être, repli communautaire. Dans ces communautés, on apprend au petit garçon, parce que c'est comme ça, c'est traditionnel, qu'il est le plus fort. Que si il domine les autres, il sera champion du monde. Que taper, ça permet de prendre le pouvoir.
Et les enseignants dans tout ça ? Parce que là, il le voient le harcèlement. Ils la constatent la violence...
Et bien ils ne font rien. Parce que si ils font, si ils punissent les fortes têtes, si ils vont à l'encontre des parents pour qui être le plus fort est une base de l'éducation, les grands frères interviennent. Crèvent les pneus des voitures du prof, cassent les vitres, détruisent la boite aux lettres, menacent.
Silence assourdissant donc. Et une enseignante de grande section, tombée de la lune, heureusement, qui m'alerte : "sortez votre fils de là, il va se faire détruire".
Et qu'est ce qu'il a mon fils ? Il est roux ? Gros ? Habillé comme un poireau ? Non, il est juste curieux de nature. Il adore les planètes, les étoiles, la mécanique, l'histoire, la physique. Il a des lunettes et il cause, tout le temps. Un vrai schtroumpf savant, aussi agaçant. Autant de raisons de le remettre à sa place non ? De bien lui signifier qu'il ne rentre pas dans le moule, qu'il devrait faire tout comme les autres. Que si il fait ça, c'est parce qu'il est bizarre. Ca fait peur les gens bizarres. Surtout à ses petits camarades. Qui tapent.
Et qu'est ce qu'il fait le petit garçon qui se fait taper ? Et bien il tape aussi. D'autant plus que comme ça parait être normal, que les autres sont tous dans des rapports de force, et que les profs ne disent rien, alors autant y aller. Une manière comme une autre de faire comme tout le monde. Harceleur/harcelé, du coup, on sait plus bien.
Décalé ? Certes.
Alors on choisit l'école de rêve, en théorie. On integre un système, basé sur l'attention à l'enfant, le respect de son rythme. On est des parents concernés, on s'investit. On y croit. Pendant un certain temps.
Sauf que l'enfant, lui, il a du mal. Il était hyper-sensible, il est devenu hyper-réactif. Un enfant l'approche d'un peu trop près ? Il tape. Il y a trop de bruits dans les escaliers, il se sent agressé ? Il tape. Cet enfant là, c'était le renard du Petit Prince, il avait besoin d'être apprivoisé, rassuré par le système scolaire, protégé. Mais le Petit Prince, c'est juste un conte. En quelques semaines, mon fils est catalogué. Menace de renvoi. Le professeur qualifie l'enfant d'agresseur.
Et nous les parents ? Qu'est ce qu'on fait ? Ben on explique l'histoire aux enseignants, on essaye de comprendre, de lui trouver des excuses, on cherche à apaiser, on punit parfois. Sans taper. Parce que la fessée, on a essayé, deux fois. Et on s'est vite rendu compte que si ça "recalait" l'enfant, ça donnait surtout aux parents un sentiment de domination qui allait vite du côté noir de la force...
Alors au fil du temps, on essaye de trouver des solutions. On lui demande d'avoir un comportement exemplaire. Avec carotte. Une semaine sans remontrances à l'école, c'est un petit jouet, une scéance de cinéma, un bouquin. Ca à l'air de marcher. Un peu caricatural quand même. D'autant plus qu'à la maison, ce petit loulou là est juste un amour, un enfant normal...
Décalé, là encore.
Les années avancent, l'enfant a des hauts, des bas. Il s'ennuie. La maîtresse ne l'écoute pas. Il n'avance pas. Il est devenu celui qui agresse, il a du mal à écrire. Alors qu'à la maison, il carbure aux émissions scientifiques et autres bouquins sur les étoiles, à l'école, il traîne. "Laissez-le être un enfant" me dit la maîtresse. Mais il est un enfant, différent, c'est tout. Le système en théorie idéal s'effrite. Mon fils fait d'énormes efforts de comportement, il rentre épuisé à la maison. Le bulletin scolaire ne reconnaît rien de tout cela : "votre fils semble un peu déprimé". Qu'en est-il réellement du suivi scolaire de mon enfant ? De sa différence ? J'ai face à moi des bisounours inactifs. L'enfant idéal est celui qui ne dit rien, ne fait rien. Assis, debout, couché, et les vaches seront bien gardées. Un joli couvercle, tout bien fait en apparence. Un repli communautaire comme un autre en définitive. Comme quoi...
L'angoisse est installée, puissante. L'enfant incompris finit par se réfugier à l'école au fond de ses seuls et uniques besoins primaires. La peur au ventre. Nous parents, avons une joie de vivre à la maison, un petit être heureux, rieur, curieux. Curieux paradoxe. Face auquel il faut expliquer, encore et encore. Espèrer qu'ils comprennent, lui et les autres. Pour que cela soit plus doux, pour lui, pour nous, pour les autres.
L'enfant a mal au ventre, il n'en peut plus. On consulte. Phobie scolaire. On met de l'huile dans les rouages. On explique aux profs, ahuris. "Mais enfin, pourquoi il est aussi angoissé, il n'y a aucune raison". Lourds regards compatissants sur nous, pauvres parents, forcément coupables du mal-être de notre enfant...
Une année passe. L'enfant change de prof. Il est plein d'espoir, enfin, il est chez les grands, il va pouvoir apprendre. Un jour, lors d'un cours sur les planètes, il tacle le maître, le reprend sur ses connaissances, le remet en question. Parce que c'est son truc à lui, l'univers. On ne la lui fait pas. Si la donnée n'est pas juste, c'est qu'elle n'est pas juste. Un autre rapport de force s'engage. Le maître met l'enfant de côté, le marginalise. Les étiquettes se superposent. L'enfant perd confiance, encore une fois.
Et puis il y la question des frontières. Il y a la classe, et l'extérieur. Dans la classe, le maître domine. A l'extérieur, c'est la jungle. On surveille, ou pas. On fait appel à de gentils étudiants pour superviser la cour de récréation. On les prévient avant : "Le petit Machin, là, attention, c'est un agresseur." Re-étiquette. Re-catalogue. L'enfant s'enferme encore plus.
Pour les autres enfants du coup, le schtroumpf à lunettes, le môme à étiquettes, c'est trop drôle de le faire tourner en bourrique, d'utiliser sa sensibilité pour le faire sortir de ses gonds. Et puis aller se plaindre après. De toutes façons, les adultes sont consentants, alors autant y aller sec. Et quand on en parle aux profs ? "Ahhh, mais non, la petite Bidule, c'est un amour, elle est tellement gentille...". Qui sait que les mollets bleus de mon fils sont dus aux adorables petits pieds de la charmante petite Bidule ?
Alors bon, je ne reviendrai pas sur les détails, j'ai déjà expliqué. Nous parents, nous sommes dit que si notre enfant tapait, c'est qu'il y avait quelque chose qui n'allait pas, que notre fils avait peut-être des problèmes psychologiques, neurologiques. Consultations, on prend l'enfant en faute, encore une fois, on le met face à ses propres incertitudes. Es-tu bien normal ?
Mais qu'est ce que la normalité pour lui ? Se faire taper ? Taper ? Se défendre ? Demander à ce qu'on le tape ? Dans son monde d'écolier, il n'y a plus de lois qui comptent. Seule l'auto-défense prévaut. Les adultes eux, ne font que regarder. Alors à quoi bon leur faire confiance...
Et puis, au détour d'une énième consultation, le voile se déchire. Toutes les pièces du puzzle prennent enfin leur place. On comprend, comment il en est arrivé là, comment s'est formé le cercle vicieux, du silence à la pseudo-bienveillance. On comprend, nous, parents, que ce monde de l'école nous a échappé. Qu'à faire trop confiance aux enseignants, nous sommes passés à côté des vrais problèmes de notre enfant.
Alors harceleur/harcelé ? Le problème est sans doute plus complexe qu'on ne croit. Le premier des maîtres maux qui me vient en tête, c'est celui de la Justice. Pas l'autorité pour l'autorité. Juste être juste. Ne pas se laisser guider par les a priori, quels qu'ils soient. Ne pas se reposer sur ses acquis. Savoir pouvoir se remettre en question. Y compris lorsque c'est au travers des yeux d'un enfant.
Le deuxième, c'est la paresse. L'un des 7 pêchers capitaux. Paresse des enseignants, sûrs de leurs bons droits, eux qui ont vu passer tellement d'enfants. Pourquoi changer de méthode ? Or il y aurait tant de choses à faire à ce sujet...
La troisième, c'est la bienveillance. Toi, l'autre, nous, vous, sommes tous confrontés les uns aux autres, que ce soit dans nos faiblesses, nos forces, nos médiocrités, nos valeurs. A ne voir que le côté noir de la force, on en devient noir aussi. Garder la bienveillance comme un trésor devrait être le guide de nos vies.
Et enfin, la créativité. Sans créativité, l'homme n'est qu'une machine, un être répétitif, sans compassion, sans ouverture d'esprit. Créativité et remise en question devraient être les clefs de l'éducation... Nationale ou pas.
***
Et mon fils dans tout cela ? Le lendemain qui a suivi notre choix de lui faire quitter l'école, c'était une boule d'angoisse réfugiée au fond de son lit. Le sur-lendemain, une petite phrase à surgit, comme un cri "Je me sens vivre". Tout était dit...