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5 novembre 2013

Ce soir, je sors la poubelle, pour collectionneeeer, onneeer...

Allez tient, aujourd'hui, on se fait de l'Histouère ET des faits divers.

Deux pour le prix d'un ma brave dame, today, c'est promo sur le beau !

Parce qu'en terme de beau, je vous dis que ça...

Bon, alors imaginez vous, on est en septembre 2010. Un brave douanier suisse, dans le train entre Munich et son riant pays contrôle un monsieur.

Nôrmaaalll.

Et qu'est-ce qu'il avait dans sa poche le monsieur ? 9000 euros.

Ben ouais.

Vous allez me dire, rien que de très commun. Moi, ça m'arrive tous les jours de me promener avec des liasses de billets en poche. Tenez, l'autre jour, j'ai acheté un Monopoly au vide-grenier de la place Bir-Hakeim. Et bien je n'en menais pas large en ramenant mon Monop chez moi. Et si un douanier suisse passait par là ? Pfiou... On vit dangereusement parfois.

Bon, les douaniers suisses, habitués à voir passer moult pipoles, politiciens et autres édiles de la nation avec des valises de monopoly en guise de baise-en-ville, ont appliqué la procédure standard.

- "Dis Roger, tu me fais une recherche là, sur le monsieur. Ou bien ?"

Oui, le Suisse dit "ou bien" à tout bout de champ, c'est comme ça, c'est un poncif.

- "Ben le souci, c'est que je l'ai pas dans mes dossiers dis-donc."

Oui, le Suisse dit aussi "dis-donc". Poncif n°2.

- "Ouh là ! Y'en aurait un qu'aurait échappé à Echelon ? Roger, appelle Interpol, on tient un cas, une fois, !"

Zut, "une fois", c'est chez les Belges. Ouais, mais du coup ça m'enlève ma rime. Alors tant pis pour la francophonie à la petite semaine, on la garde.

Bon, faut dire les choses comme elles sont, y ont du lui mettre un peu la pression au monsieur. Lui faire écouter des yodle en boucle, le bourrer de Milka, l'enduire de fondue, enfin des trucs comme ça. Ce qui fait qu'il a bien fini par donner son nom.

Cornelius Gurlitt.

Ouf.

Au fond, entre nous, c'est vrai qu'autant se cacher avec un nom pareil.

Nannn, je rigole.

Bon, du coup, Roger et ses potes douaniers, comme ils avaient des RTT à prendre, ils se sont dit qu'une petite visite à Munich, chez Cornelius, ça pourrait être intéressant. En même temps, ils ont pris leur temps hein. Faudrait pas voir à presser un suisse, et qui plus est, un administratif suisse. Poncif n°3.

Toujours est t'il, qu'au printemps, voilà notre brigade version "les gendarmes à Saint-Tropez" en guinguette à Munich. Ok, le climat est légèrement différent, on va pas chipoter.

Là, ils ouvrent la porte du monsieur et tombent sur...

Une poubelle.

Grandeur nature.

Un amoncellement, une accumulation, une performance à ordures.

Ni une ni deux, parce que, poncif n°4 qui n'est pas un poncif, mais une réalité (on parle quand même d'un pays où quand vous posez vos sacs poubelles, un employé municipal vous matte à la caméra pour voir si par hasard vous avez pas mélangé boite et plâtras...), nos suisses ont fait le ménage. Des fées du logis. "C'est du propre" version policière.

Et vous me direz, ils sont bien fait. Parce que sous la collection de vieux cartons et autres raclures diverses sont apparus, bien alignés sur les murs, quelques petites peintures.

Oh, des machins de rien du tout hein, des Matisse, des Picasso, des Renoir, des Chagall, et j'en passe. "A peu près 1500". Une paille.En gros, y'en a, plus ou moins, à la louche, pour 1 milliard d'euros.

A ce prix là, je vous le dis tout de suite, je vous fais le ménage au commissariat. De fond en comble.

Et non, non, je ne suis pas vénale, je veux bien être payée en nature.

Un petit Renoir, ça m'ira. Ou un Matisse, on va pas chipoter.

Des-tableaux-rendus-a-Cornelius-Gurlitt_article_landscape_pm_v8

Tient, celui-là par exemple, hum ?

Bon, en attendant, ce pauvre monsieur psychotique avait quelques raisons de l'être, héritier non déclaré d'un ancien conservateur de musée, amateur de nouveautés. Celles qu'Hilter, peu au fait d'une quelconque ouverture, qualifiait alors d'art décadent.

Dans un premier temps donc, en 1930, en bon historien d'art penseur, Hildebrand Gurlitt, papa de Cornélius, mis au banc de l'art officiel nazi, démissionne. Ça a du lui laisser du temps pour réfléchir, ou s'infléchir.

Parce que juste après, en 1933, dans un ample geste sans doute tout emprunt de terreur rétrospective, l'homme retourna sa chemise (brune). Et devint l'un des acheteurs attitrés du Führermuseum qu'Hitler voulait alors construire à Linz.

Après, ça devient plus que chaud bouillant. Hitler organise l'opération Entartete Kunst –– art dégénéré –– et en profite, tant qu'à faire, pour piller près de 16 000 œuvres dans les collections des musées allemands, et des collections privées juives. Hildebrand est chargé de l'expo éponyme qui fait suite au pillage.

Et là, on est plus chez Télérama. Vu le titre, c'était juste du pas acceptable, de la pure propagande et de l'obscurantisme. On passera sur le discours associé à la chose... Pas écoutable, peu racontable.

Bon, à la fin de l'expo, il était prévu de tout détruire. Puis finalement, Goebbels, qui passait par là, s'est dit qu'il pourrait peut-être se faire quelques sous avec les machins que son parti avait volé. Tant qu'à faire. Alors on ouvre une salle des ventes. Et parmi les marchands chargés de liquider les oeuvres, qui on retrouve ? Ho, Hildebrand Gurlitt ! Qui vend. Et qui garde aussi, discretoche. On se refait pas hein, même si on a changé de chemise et retourné sa veste.

Bon, à la fin de la guerre, en 1945, Hildebrand fait croire que sa maison a brûlé, et hop, vu qu'avant, Picasso, il aimait plutôt, tout le monde l'a cru.

Et qui c'est qui se retrouve avec, dans le salon, un musée de trucs volés ? Et ben c'est Hildebrand. Qui reprend sa vie d'avant. Mais n'accepte ni thés ni dîners, attention. Histoire de pas rendre les invitations.

Parce que oui, sinon, petit détail, le monsieur a un fils.

Caché. Lui aussi...

Bon, alors, vous, je sais pas, mais moi, le truc m'évoque furieusement ça : (c'est Franquin, Les idées noires)

Bonsai

Et comment il fait le fils, pour vivre avec un poids pareil ? Et ben y vit pas.

Le père meurt, le fiston s'enferme. Sort de temps en temps pour vendre un tableau, histoire de payer les croquettes du chat et entasser du fatras.

Drôle de vie.

Fait divers, j'avais prévenu hein.

Bon, mais pour finir par une note heureuse, moi, je me mets dans la peau de Roger, notre pote douanier.

Je te dis pas quand il a soulevé la pile des "A vendre à louer" des 20 dernières années. LE truc d'une carrière, un pied...

Le soir, il a dû rentrer tout fou : -"Simone, j'ai trouvé des machins volés".

- "Ah bon" (voix flûtée matinée d'accent genevois)

- "Oui, enfin (intérieurement : "meeerde", faut pas que je le dise"), quelques chromos. T'aurais vu l'appart, on a du tout ranger, mettre le verre avec le verre, le papier avec le papier, et les emballages avec les emballages"...

- "Ahhhh" (soupir de contentement de Simone entendant parler de ménage ET de tri. Un vrai pied suisse lorsque les 2 mots sont dans la même phrase).

Simone peut aussi remercier son Roger d'avoir fait oeuvre charitable. Parce que ce pauvre Cornelius, trahi par ses billets, il était grand temps de lui rendre sa liberté...

Après, je n'ose même pas imaginer la capacité carpesque des mecs qui ont récupéré les tableaux. Stockés dans un grand entrepôt, avec plein d'historiens, chercheurs, fouineurs et trouveurs chargés de tracer le parcours de ces beaux atours.

Sauf qu'y fallait rien dire.

Au secret. Histoire de clarifier tout ça avant d'en faire un éclat.

Je vous le dis tout de suite, j'aurai a-do-ré faire partie de cette équipe là. Même si j'aurai sans doute eu un mal de chien à ne pas lâcher 2 ou 3 trucs ou glisser bloguesquement, en douce, quelques sous-entendus libérateurs sur mon travail de chercheur (oui, oui, parfois, y'en a, faut les chercher !).

A bon entendeur Roger. Au prochain mec qui passe la frontière avec des sous, tu me préviens, hein ? On sait jamais...

Bon, sauf si c'est un pipole, un politicien, un édile de la nation (rayer les mentions inutiles)...

*

Et sinon, t'as des images le Nain ?

Ben non, et personne n'en a. Mais je vous dis pas, le jour où on va voir tout ça...

Ça va être un vrai pied munichois. Doublé d'un suisse chocolat.

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Commentaires
E
te lire est toujours un plaisir !!!
P
j'adore ton histoire, merci de la raconter si joliment. une bise!
D
Et si c'est un pipole ou encore un politicien qui collectionne des tableaux...tu prends toujours pas? bon si tu prends pas tu me fais passer l'info...hi..hi...hi...promis je resterai muette comme une tombe et j'en causerai pas à mes anciens collègues des musées....Oh dis donc, j'ai lu le book et j'ai vu Madame Nain à la TELEVISION....une bien belle émission comme on voudrait en voir plus souvent. Madame Nain était vraiment très bien...clean...causant super bien et tout et tout.....BZZZZZZZZ
L
fabuleuse ton histoire! mon homme et moi avons adoré te lire!
T
Pauvre homme!C'était trop lourd cette histoire sur son dos et ça lui a mis la tête à l'envers.
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